Thésaurus, un trésor !

Une simple recherche avec le mot thesaurus dans le Web francophone et anglophone ramène une pêche fructueuse et variée, devant laquelle les professionnels de l’infodoc restent parfois perplexes. Au milieu de thésaurus que nous nommerons documentaires, apparaissent d’autres « thésaurus » dont la fonction et/ou la structure ne peuvent être confondues avec celles des thésaurus documentaires.

Quelques exemples :

  • Dans le domaine médical : « l’ensemble des interactions médicamenteuses identifiées par le Groupe de Travail [Afssap] sont regroupées dans un Thesaurus […] « délivrant une information de référence » [http://agmed.sante.gouv.fr/htm/10/iam/triam.htm]. Le « Thésaurus de bonnes pratiques du cancer colorectal métastatique » répond aux mêmes besoins [http://www.snfge.asso.fr/01-Bibliotheque/0G-Thesaurus-cancerologie/TPC-cancer-dig/TPC.htm].
    On peut également citer le Thésaurus Vidal Semp (TVS), base de données médicamenteuse Rq : Ce produit a changé de dénomination. NDA]. L’aspect « contrôlé » ou univoque de ces listes rappelle les caractéristiques des vocabulaires documentaires, mais leurs fonctions pédagogiques ou ici normatives au cours d’un diagnostic ou d’une prescription, ainsi que leur structure s’éloignent fortement des normes qui régissent les thésaurus documentaires.
  • Dans le domaine juridique ou patrimonial : notons que le nom de domaine Thésaurus.fr a été pris par une société de conseil en développement patrimonial ; plus largement le terme thésaurus est exploité pour désigner des classifications ou des index de collections de textes à caractère juridique, voire des tables des matières détaillées d’un ouvrage (un code), point d'accès non combinatoire. Un exemple : le Thésaurus de la CNUDCI pour la Loi type sur l’arbitrage commercial international» [http://www.uncitral.org/uncitral/fr/case_law/thesauri.html].
  • Dans le domaine littéraire, le Thesaurus linguae graecae (TLG) de l’Université de Californie à Irvine correspond à une collection de textes littéraires connus de l'antiquité grecque [Online TLG – http://www.tlg.uci.edu/]. On peut également citer le Thesaurus Diplomaticus : « Base de données textuelles et d'images de 12.800 documents diplomatiques des VIIe au XIIIe siècles, portant sur l'histoire médiévale de la Belgique et des régions limitrophes [http://www.bib.ulb.ac.be/BSH/bsh_thes.htm%5D. Nous pouvons noter la fonction première de collection, groupement raisonné de ressources.
  • Dans le domaine linguistique ou plus précisément lexicographique, le thésaurus a un sens tout à la fois proche et distinct. En 1553, Robert Estienne (1503-1559) publiait le Thesaurus linguae latinae (TLL) dictionnaire bilingue ; son fils, Henri, publiait en 1572 le Thesaurus graecae linguae. L’évolution lexicographique française nous mène ensuite au Thresor de la langue françoyse de Jean Nicot en 1606 sans que la filiation avec les thésaurus documentaires soit visible, à une époque où l’orthographe et le dictionnaire se cherchaient (*, **). C’est avec l’ouvrage proposé en 1852 par l’anglais P.M. Roget, philosophe et savant, que cette filiation apparaît nettement. Le Roget’s Thesaurus of English Words and Phrases présente une liste de termes organisés non plus par ordre alphabétique, mais par sujets hiérarchisés (environ 1000 concepts en 6 niveaux). Ce thésaurus de langue est « sans prétention linguistique. « Notre tâche n’est pas d’expliquer la signification des mots [il n’y a pas de définition] mais seulement de les classer et de les arranger selon le sens que l’usage leur a donné et que nous supposons être connu du lecteur » (tiré de *, p.380). Plus avant dans l’Histoire, on peut noter des classements par centres d’intérêt : les mots sont alors en rapport avec le sujet évoqué. C’est l’origine des premiers vocabulaires médiévaux, souvent limités aux substantifs (*, p.362), l’idée sous-jacente étant "qu’une idée étant donnée, [il s’agit plus de] trouver le mot qui l’exprime le plus convenablement ». Alors que pour les dictionnaires, « un mot étant donné, [il s’agit de] trouver sa signification ou l’idée qu’il représente ».
    Avec le Roget’s Thesaurus, nous nous approchons fortement du monde des thésaurus documentaires. Mais les différences dans leur finalité (trouver un ou plusieurs "bons" mots pour connaitre et apprendre, ou pour interroger une base documentaire) entraînent des distinctions : sur le choix des mots (expansif dans le Roget incluant des phrases, restreint dans les thésaurus documentaires), et dans les outils d'orientation (générique et non modifié dans le Roget, adapté à la recherche dans un domaine pour les thésaurus documentaires).
    Toujours est-il que le Roget’s thésaurus est régulièrement cité dans les ouvrages lexicographiques (dictionnaire de langue), mais les thésaurus documentaires n'apparaissent pas parmi les outils lexicographiques ou très rarement dans le monde de la terminologie.
  • Enfin, le site http://www.thesaurus-tv.com, « magazine des chasses au trésor et des jeux de sagacité », nous ramène à l’étymologie du terme : le trésor !! Car derrière ces contextes d’utilisation multiples – thésaurus médical, littéraire, juridique, linguistique, documentaire…- c’est l’idée d’un trésor qui est pointée avec le choix de ce terme : trésor à préserver, à fructifier, à gérer, … à partager. Ce que la terminologie employée par Nicot en 1606 reprend dans le « trésor historique de la langue française ».

Ces exemples mettent en exergue quelques caractéristiques des thésaurus documentaires : l’aspect contrôlé (juridique, médical), de référence (médical, littéraire), l’organisation hiérarchisée des termes  (thesaurus linguistique), mais toutes les caractéristiques des thésaurus documentaires ne sont pas couvertes en particulier les plus spécifiques (relations et structure, type d'équivalences) sont peu visibles.

Plusieurs problèmes résultent de cette absence de distinction entre ces différents « thésaurus ».
En particulier les thésaurus documentaires, moins nombreux que les dictionnaires et d’un usage plus ciblé et plus contraignant, sont fréquemment perçus et utilisés par des non-professionnels de l’infodoc, comme de « simples » lexiques ; la présentation hiérarchique est souvent assimilée à la hiérarchie d’un plan de classement, le concept représenté pris pour un sujet et les relations ne sont ni comprises et donc non exploitées réduisant fortement l'intérêt de cet outil.

Pour le premier problème évoqué (un thésaurus est un dictionnaire) et en tenant compte de l’histoire qui donne la prérogative au dictionnaire lexicographique (Roget's Thesaurus, Thésaurus Larousse,…), il serait certainement sage de nommer les thésaurus utilisés pour l’indexation et l’accès à l’information, thésaurus documentaires ou thésaurus de descripteurs, comme le précisent Jacques Maniez (langage de descripteurs, p. 317-) et Michèle Hudon****.
La construction d’un nouveau terme moins ambigu pour ce nouvel outil aurait été plus judicieuse. Mais les initiateurs ne devaient pas s’imaginer l’extension de son usage et une telle reconnaissance près de 40 ans après !

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Nous avons largement utilisé le Web pour la diversité des exemples cités.

Les dictionnaires et thésaurus de langue :
* Site Estienne-Nicot, Les dictionnaires de Robert Estienne et de Jean Nicot, T.R. Wooldridge, août 1998, http://www.chass.utoronto.ca/~wulfric/tiden/
** Le musée virtuel des dictionnaires [site], Jean PRUVOST, Université de Cergy-Pontoise – UFR de Lettres et Sciences humaines CNRS, INaLF, Métadif, http://www.u-cergy.fr/dictionnaires/index.html
*** Les Dictionnaires du français moderne. 1. Études sur leur histoire, leurs types et leurs méthodes, 1539-1863. Bernard Quemada. Paris, Bruxelles, Montréal : Didier, 1968

Les thésaurus documentaires
*** Le thésaurus : conception, élaboration, gestion, Asted, 1994, p.35

Une réflexion sur “Thésaurus, un trésor !

  1. nicolas 29 septembre 2005 / 16 h 39 min

    Le Thésaurus Vidal Semp (TVS) n’existe plus, il a été remplacé par le Vidal Expert (contenu et fonctionnalités enrichi par rapport au TVS).
    Cordialement,

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